Le Lobbying et le travail en commission.
Dès le travail en commission sur un texte, le travail des lobbyistes commence. Les grands groupes industriels sont organisés de manière à coordonner leurs actions par des prises de positions écrites sur le fond du texte. La nouvelle directive sur les déchets dont la commission de l’environnement avait la compétence a été accompagnée d’un travail assidu de divers groupes, comme les sidérurgistes, les producteurs de batteries, les centrales de combustions de déchets, les entreprises de la construction – qui se souciaient d’abord des obligations imposées pour la collecte….
L’on aura remarqué que les intérêts divers sont parfois difficilement conciliables, et les groupes politiques se font une opinion sur les interventions diverses, par l’attention que les députés réservent aux revendications des divers intervenants. Ceci se fera par des amendements soumis aux parlementaires, qui les feront suivre dans le débat politique. L’œil averti saura distinguer quels sont les amendements transmis tels quels, de ceux qui émanent de la plume du député.
Vient alors la préparation au niveau politique, dans les groupes de travail, les réunions plénières des fractions, et, à chaque revirement de tendance les lobbyistes se font entendre.Par des publications, des mails, des demandes de rendez-vous, on se rendra compte dont l’information circule, comme s’ils avaient été présents à toutes les réunions.
Selon le sujet et l’enjeu économique qui se cache derrière, les interventions sont plus ou moins véhémentes, la contre information ressemble parfois plus à une désinformation, les députés auront beaucoup de mal à séparer le vrai du faux, à se faire une opinion objective et dans ce cas à défendre une position de fait contre des préjugés dont les collègues ont été endoctrinés.
Il m’est arrivé lors du débat sur REACH d’avoir comparé en séance plénière du groupe le texte qui concernait les analyses en laboratoire de substances cancérigènes aux obligations imposées sur les « safety sheets » de grands groupes chimiques. Ma conclusion était que ce qu’on s’apprêtait à retenir pour la future directive était moins sévère que les obligations que l’industrie elle-même s’était imposées pour garantir la protection de la santé du personnel.
Nouvelle venue au groupe, je n’avais pas la notoriété suffisante pour être considéré apte à critiquer l’attitude de la rapporteure et du coordinateur. La première me traitait de sotte, qui n’aurait pas connaissance suffisante du texte, le second venait me trouver pour m’expliquer que j’avais sans doute mal compris comment cela se passait.
J’ai maintenu ma critique. Je l’ai répétée à toutes les réunions suivantes.Car, il faut encore savoir que l’élaboration des textes législatifs est un travail de répétition : la composition variable des groupes de travail, fait lié aux multiples occupations qui se recoupent et qui font que les parlementaires courent d’une réunion à l’autre, vous oblige à répéter chaque fois le même plaidoyer pour être sûr que tout le monde a bien pris note de votre position.
Le texte en question a été modifié par la suite. La rapporteure, très proche de l’industrie chimique, a été remplacée par le président de la commission de l’environnement, qui a pris lui même les choses en main, le coordinateur s’est rangé du coté de la majorité du groupe, finalement l’alliance entre certains membres du PPE et d’autres députés du PS et des autres groupes politiques, a réussi à faire de la réglementation REACH un texte exemplaire qui est d’ailleurs bien accepté par l’industrie chimique et constitue une réelle avancée pour l’environnement et la santé des consommateurs.
Ce texte soumis par la Commission européenne en 2002 a été voté en première lecture leXXXen deuxième lecture le xxxx .Il entrera en vigueur lexxx. Les députés avaient introduit 5000 amendements,
20 cantines étaient nécessaires pour acheminer les traductions, le vote en commission durait plus de trois heures. Reste à voir quel sera l’efficacité réelle de la directive, une fois qu’elle sera en vigueur et qu’il sera possible de l’attaquer en justice à la cour européenne. Déjà les juges appréhendent la complexité de la matière et l’on verra que l’enjeu de la concurrence entre les grandes entreprises chimiques ramènera maints problèmes devant la cour de justice.
Beaucoup d’encre a coulé sur l’envergure du travail des lobbyistes, des représentants de l’industrie et des ONG dans la législation européenne. Il existe même toute une littérature sur le sujet.Des colloques s’organisent sur la meilleure façon d’organiser le lobbying à Bruxelles. Il est évident que ce n’est pas seulement le PE qui est la cible de l’intervention des premiers concernés d’une directive ou d’un règlement. Il y a les services de la commission, les agences spécialisées et tous les intervenants au cours de la procédure.
Totalement différente de la manière de légiférer au Parlement national, le professionnalisme des défenseurs des intérêts des entreprises a introduit une nouvelle culture. Connu par son importance le lobbysme auprès du Congrès américain ne saurait être l’exemple idéal.
Dans les institutions européennes c’est un combat à armes inégales, que le Parlement lui-même a voulu rendre plus transparentes en introduisant des règles de publication sous chaque rapport des auteurs d’amendements externes, en faisant signer des listes de présence à ceux qui sont intervenus. Le problème épineux d’intérêts matériels qu’auraient les députés à défendre la position de l’industrie de leur circonscription se discute en secret… .Sous la promesse de confidentialité avec ceux qui en sont les témoins directs.
Ce sont bien sûr d’abord les fonctionnaires des groupes politiques qui voient s’acheminer des amendements dont ils connaissent parfaitement la provenance et dont ils savent que ce n’est pas toujours l’intérêt du citoyen qui est le premier en lice. Les fonctionnaires de la commission ont eux aussi des discernements clairs et vous diront pourquoi certaines modifications de texte ne sont pas acceptées, sachant qu’il y a une attitude bien déterminée auprès de leurs supérieurs de ne pas aller outre.
Corruption ? Oui et non. La recherche du compromis ne peut se passer prendre en compte les diverses positions, quant à une prise d’influence directe –rémunération pour services rendus- le mandat de parlementaire est suffisamment rémunéré pour ne pas mettre les députés dans des positions de dépendance matérielle !
Restent à tracer les liens d’intérêts électoraux. La présence d’industrie dans la circonscription électorale du député représente une « obligation morale » d’en prendre en compte les problèmes.
A force d’être confrontés à des multitudes de difficultés sectorielles, toutes liées à des situations spécifiques nationales ou régionales, voire liées à des retards de modernisation, les débats ont une connotation de vue large sur l’étendue des problèmes.
Il n’y a pas de pour et de contre franc. Il y aura la nuance, le souci d’emplois à sauvegarder, les disparités qui concernent la situation de concurrence à considérer. Les députés les plus heureux sont certainement les écologistes qui n’ont que ce seul intérêt à défendre, qui peuvent se permettre d’être purs et durs, imperméables, mais conscients d’être évincé dans des votes à majorité.
Le lobbysme ne se limite d’ailleurs pas à l’industrie. Les grandes ONG comme Greenpeace lancent des initiatives très élaborées, très médiatisées, avec des résultats efficaces. L’on peut s’offusquer du fait qu’elles touchent des subventions de la part de la commission européenne, le débat serait cependant moins équilibré sans leur intervention.
Quant aux grands moyens, il y aurait maintes choses à dire. Fallait-il monter un phoque géant en ballon soufflé pendant toute la semaine du vote sur l’interdiction de tuer les bébés phoques pour convaincre des députés, convaincus à l’avance –à quelques rares exceptions prêt – ?Quel était le montant financier investi dans cette campagne qui distribuait de jolis phoques en peluche blanche tout au long des 2 années que durait l’élaboration de la réglementation ! Et ce ne sont que 2 actions précises, emblématiques, à côté de milliers de courriels envoyés aux députés à des intervalles réguliers.Des cartes postales ou des courriels personnalisés vous sont envoyés, provenant de citoyens de votre circonscription. Après la nième carte, vous aurez remarqué qu’il s’agit d’une action orchestrée, d’un envoi collectif avec le même texte faisant semblant d’être l’interprète de citoyens individuels qui appuient l’action.
En matière de prise d’influence, ces opérations ont à chaque fois conduit au résultat escompté : intimidation ou pouvoir de conviction ?Les grandes Actions durant les 5 années ont été couronnées de succès.
LE PARLEMENT EUROPEEN ET LA SOCIETE CIVILE
Dire qu’il n’y aurait pas de dialogue, ce serait mal interpréter les innombrables façons dont on parle à ceux qui s’intéressent de plus près à la politique de l’UE. Il y a les circuits « officiels », les organisations représentatives de secteurs industriels regroupés. Il y a les Syndicats, et leurs organisations internationales, il y a les organisations patronales ….. Ensuite la possibilité de faire parvenir votre position individuelle par courriel à chaque député individuellement et aux groupes politiques.
Les contacts avec les visiteurs qui sont nombreux à venir assister aux séances sont une aubaine pour le député qui veut se présenter à ses électeurs et leur montrer son lieu de travail. C’est une forme de démocratie directe, teintée de la couleur politique du député, mais néanmoins un moyen pour montrer la complexité du travail, et l’hémicycle, vide lors des débats, qui se remplit au grand brouhaha pour l’heure de vote impressionne maint visiteur.