Le régime linguistique
C’est une grave question, une quadrature du cercle, un chemin inextricable :le régime linguistique s’est engagé sur une voie qui semble celui du non-retour. En pratique, la traduction de centaines, voire de milliers d’amendements aux textes législatifs—et aussi à ceux qui sont de la pure prérogative des parlementaires, comme les rapports d’initiative- représente un droit légitime, qui est défendable, car chaque représentant doit être à même de comprendre dans tous les détails les propositions qui lui sont soumises au vote.
Encore que, parfois les traductions sont plus ou moins bonnes et l’on aura l’amendement de l’amendement avec la correction de déviations linguistiques en pleine séance publique…
Inimaginable ce que sera cette opération dans le cas d’élargissements ultérieurs, alors que déjà apparaissent à l’horizon de nouvelles langues, issues des conflits guerriers sur les Balkans. Tout essai de raisonner des parlementaires- qui sont pour la plupart du temps parfaitement bi, tri et même quadri lingues, qui sans des connaissances suffisantes de l’anglais ne pourraient pas discuter dans les groupes de travail, qui eux ne fonctionnent qu’en anglais- à ne pas revendiquer, pour le principe , la traduction dans la langue de leur pays, est vaine en l’état actuel.
Revendiquer pour le principe, car à chaque nouvelle adhésion le régime linguistique est fixé d’un commun accord, l’engagement est pris par les chefs d’états afin de sauvegarder la démocratie inconditionnelle, en permettant à chaque parlementaire de parler dans sa langue maternelle.
Pourrait-on imaginer des conditions au mandat européen ? Que les élus de ce Parlement devraient se soumettre à des épreuves linguistiques avant d’être admis sur une liste ? Ce serait discriminatoire vis-à-vis de certains chefs d’état qui ne parlent qu’une seule langue, et s’entourent d’interprètes lors de leurs contacts avec des hôtes étrangers.
Cependant le régime linguistique est fortement mis en question par les citoyens, qui ne comprennent pas pourquoi le PE ne pourrait s’aligner sur d’autres institutions, comme l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, ou la Csce (?) qui fonctionne en trois, ou 6 langues.
Difficile à faire comprendre que le PE discute et vote sur des textes législatifs, qui auront force de loi dans tous les pays membres. Les traductions ne sont pas toujours le reflet exact de ce qui était l’intention du législateur, certains concepts restent intraduisibles, certaines références à des institutions rencontrent la difficulté que les structures ne sont pas les mêmes dans les pays de l’Union.
Un exemple m’est resté pour illustrer la complexité de ce débat. Lors du débat sur le 7e programme cadre de la recherche européenne, il était question dans le texte de consulter les autorités régionales.
C’était un amendement introduit par des députés français, qui voulaient que lorsqu’il s’agissait de l’implantation de structures de recherche, la consultation soit étendue aux représentants des régions.
Il en ressortait dans le texte traduit la consultation de « local authorities » .Ce qui me fit penser à la consultation au niveau communal .C’était pourtant la traduction juste pour l’idée de l’amendement, « local » étant le terme approprié pour régional !
Les problèmes de communication, qui sont de taille au sein de l’Union à 27, ne se limitent pas à la compréhension linguistique, mais reflètent toute l’histoire compliquée du continent.
Lors de l’élargissement à la Roumanie et à la Bulgarie il fallait bien trouver des domaines au niveau de la Commission Européenne pour les 2 nouveaux commissaires de ces pays. Grignoter sur les compétences déjà attribuées, cela ne s’est pas fait pour la première fois. C’est peut-être une des explications pour l’excès de réglementation dont on se plaint ! Quelques commissaires en moins, et moins de textes …..
En attribuant au commissaire roumain le domaine du multilinguisme, c’était du machiavélisme ! Le pauvre candidat devait se défendre lors de son audition de la situation interne en Roumanie, où les Hongrois, citoyens roumains depuis 1936 (?), revendiquent le droit de pouvoir parler leur langue, ce qui a été réglé par la constitution de 1990 dans le sens que le Roumain est la langue des citoyens !
Le domaine du multilinguisme, qui n’est pas une compétence européenne, est devenu une pierre d’achoppement, un domaine plein de controverses restées après l’histoire compliquée de la constitution des Etats aux siècles derniers.
De nombreuses situations sont le résultat du transfert de populations à l’issue des guerres et en ont fait des « minorités ».
Ce n’est pas uniquement la question linguistique qui reste à régler, mais plus souvent des problèmes politiques d’une autre envergure.
Le pauvre commissaire était forcément dépassé par la tâche… .Il devait en outre gérer les services de la traduction, ce qui était une vraie compétence administrative.
Toutefois, la décision de la Commission n’était pas anodine. Elle reflétait bien la complexité et l’envergure historiques de la construction européenne.
Que le Parlement européen puisse fonctionner, grâce à la traduction simultanée, c’est une chance et un défi. Tout comme pour la question du siège, y toucher, ce serait ébranler la construction, rééditer l’histoire de Babel.