La chancelière a réussi là où d’autres auraient échoué. Ainsi, pour le sommet européen, tous les yeux se tournent vers elle. Comment en effet débloquer le projet de constitution sans léser les uns ni offusquer les autres? 18 états membres l’ont déjà ratifié dans sa première version. Leur imposer une version « light » serait mépriser le travail des bons élèves, des ministres et députés qui ont défendu les textes signés (!) par leurs chefs d’état. Sacrifier la charte des droits fondamentaux serait un double sacrifice, étant donné que ce texte a déjà une fois été retenu d’un commun accord par les pays membres.
De même, les annexes qui constituent à leur tour des textes ratifiés par les organes institutionnels. Et quel serait le citoyen qui ne souscrirait pas à la déclaration de vouloir vivre ensemble en paix, de construire l’Europe dans l’esprit de solidarité avec les moyens initiés par les pères fondateurs?
Va pour les grands principes, les tracasseries sont dans le détail. Et les compromis trouvés pour avoir un accord à Nice se vengent peut-être maintenant. Car les témoins qui se souviennent de la façon dont l’accord final a été trouvé se font rares autour de la table. Sur les 27 chefs d’état et de gouvernement, il n’en reste plus beaucoup qui se rappellent comment, tard dans la nuit, des concessions ont été faites pour boucler le dossier et pouvoir annoncer le résultat positif du sommet. L’institution du sommet européen souffre de cette absence de mémoire, ce vide d’histoire. Le documenter par écrit serait dangereux, certaines décisions étant prises en l’absence de critères objectifs, dans la seule volonté de faire avancer les choses. C’est un raccourci dangereux de railler le chef d’état de la Pologne avec sa proposition de bases de calcul des voies au Conseil sur une formule mathématique différente. Et Angela Merkel a bien pressenti qu’elle ne peut laisser dans l’isolement un grand pays, son voisin, mais pas encore son ami. Ce sommet se joue encore sur l’arrière-fond de la 2e guerre mondiale. Ne sous estimons pas les rancunes qui subsistent ni les séquelles d’un demi-siècle vécu sous l’occupation. Le premier vrai sommet de l’Europe libre devrait s’articuler comme tel. Bien sûr que pour mieux fonctionner, l’Union devra adapter ses règles, tout en sauvegardant la diversité des nations et les prérogatives des petits états-membres. Sans oublier ceux qui, à sa porte guettent l’entrée, comme le havre de paix et de bien-être. Sans non plus y aller trop vite pour s’élargir.
Un accord à tout prix? Le pressentiment que le poids d’un grand pays prédisposerait une présidence à réussir a été contredit maintes fois. Même en l’absence d’accord, les institutions continueront à fonctionner, clopin-clopant parfois, mais aussi avec efficacité comme le prouvent certains projets d’envergure.
Et l’on verra si la bannière étoilée rassemblera encore, et si même au cas où cela ne serait pas formellement retenu dans les textes, l’hymne européen fera encore lever les citoyens … si ce n’est pas pour l’Europe, alors au moins pour Beethoven !