L’analyse de ce qui se dit contre le traité soumis au vote permet de distinguer deux tendances :
ceux qui, à la Le Pen, argumentent qu’on fait une Constitution pour faire un Etat, et que c’est donc le début de l’Europe dans laquelle la souveraineté nationale aurait disparu, et
ceux qui critiquent le texte dans ce qu’il a de faible : un manque de dimension sociale, trop peu d’engagement pour les droits des travailleurs, l’Europe trop libérale permettant la délocalisation des entreprises, pas de véritable amélioration de son fonctionnement, etc.
Si les premiers font valoir leur nationalisme affiché de longue date, la deuxième catégorie de « non » n’indique pas clairement s’il s’agit d’une position contre l’Europe – donc aussi pour le retour de l’Etat-nation – ou simplement contre cette construction-ci.
A vrai dire, les arguments que les adeptes du « non » avancent quant aux lacunes de ce texte-compromis laisserait entendre qu’ils voudraient y aller avec plus de franchise : plus d’harmonisation, un pouvoir de décision plus rapide pour faire décoller l’économie, bref, une Europe plus efficace !
Forcément la question posée au référendum sera trop succincte pour élucider ce que voudra dire le « non ». Car que répondre à ceux qui – comme deux anciens présidents de l’Assemblée nationale en France – n’ont, alors qu’ils étaient en fonction sous l’ère Mitterrand pas fait entrave à l’UE et font actuellement campagne active pour le « non » ? Seraient-ils de ceux qui voudraient progresser mieux et plus vite, ou seraient-ils pour un sur-place qui ne profitera à personne ?
Ce qu’ils omettent de dire aux électeurs, c’est que leur « non » ne changera en rien le traité en vigueur, que leur « non » ne sera pas la fin du projet d’une Europe unie, que leur « non » ne remettra pas en cause les approbations parlementaires du passé, que les traités resteront en vigueur, mais que la Charte des droits des citoyens n’aura pas d’assise juridique, de même que la Charte communautaire des droits sociaux des travailleurs, n’aura pas de valeur contraignante après un « non » à la Constitution…
Si au moins le « non » pouvait permettre d’indiquer des lignes directrices pour un nouvel essai, au cas où ce traité ne pourrait pas entrer en vigueur, le déficit démocratique si souvent mis en avant en serait atténué ! Mais là encore, l’analyse saura difficilement cerner les courants politiques, gauche et droite se confondent, selon la majorité en place dans les différents pays dans leur acceptation ou dans leur refus du texte.
Sacrifier la grande idée d’une Europe des valeurs communes et des droits et libertés de l’individu sur l’autel du populisme momentané et utilitaire, c’est méconnaître l’importance historique d’une Constitution pour l’Europe. Il sera donc essentiel que l’électeur retienne le grand enjeu de son « oui » ou de son « non ».
L’interprétation des résultats sera assurément une indication du degré de confiance en cet avenir de paix et de sécurité qui a ses fondements dans un demi-siècle d’expériences communes. La prédominance du « non » fera à coup sûr chavirer la barque fragile du développement économique dont nous avons un si grand besoin.