Le reproche est justifié que « l’ouest » s’est peu soucié de la domination des communistes à « l’est » : lors de l’inscription au budget européen d’une somme permettant de financer les lieux de mémoire des camps de concentration nazis, la remarque qu’il faudrait de même mentionner les goulags des communistes n’était que justifiée. La Pologne et les pays baltes souffrent de l’apparente indifférence de leurs partenaires européens : en fait, c’est souvent l’inconscience de ceux qui depuis plus d’un demi-siècle jouissent de la liberté et qui oublient de se mettre dans la peau de ceux pour qui la liberté date d’une décennie seulement.
L’oubli est la hantise de générations qui ont souffert de la torture et de l’oppression. L’oubli est ressenti comme une nouvelle attaque contre la dignité d’avoir refusé de collaborer. Trop souvent aussi le Luxembourg est oublié lorsque l’on cite les territoires envahis. Les victimes de notre petit pays ne semblent pas compter ! Ainsi une série d’articles publiée début mars dans l’hebdomadaire « Stern » oublie dans son énumération les victimes luxembourgeoises, et l’exposition au « Geschichtsmuseum » à Berlin ne donnait pas non plus une représentation correcte de l’invasion du territoire du Luxembourg – pays indépendant et souverain.
Le devoir de commémoration doit se compléter de l’attention à la façon dont sont relatés les faits de la guerre à l’étranger. En visitant le musée mémorial de l’Holocauste à Washington, j’ai cherché en vain sur une carte géographique le nom du Luxembourg : le territoire avait disparu – considéré comme « territoires allemands » de 1939. Il sera essentiel pour la paix en Europe de faire tout le deuil de la guerre la plus meurtrière de l’humanité.
Si elle s’est terminée pour nous il y a 60 ans avec la libération par les forces alliées, la souffrance a continué pour tant d’autres Européens. Ils nous ont rejoint, en partie, il y a un an. Au vu de la situation qu’ils ont subi pendant un demi-siècle, la question de savoir si l’élargissement de l’UE n’était pas prématuré ne devrait plus se poser. Si nous avons eu plus de chance que les Estoniens, les Lituaniens et tant d’autres, n’avons-nous pas une obligation morale de partager avec eux nos expériences et nos richesses ?
L’oubli du fait que la reconstruction a pu se faire grâce à l’aide des Etats-Unis d’Amérique serait une autre erreur fatale. Contre l’oubli de ce qu’était l’Holocauste, Berlin a inauguré un monument exceptionnel, après 17 ans de tergiversations. Pour marquer sa volonté de ne jamais oublier les méfaits des précédentes générations, l’engagement du peuple de Goethe et de Beethoven pour la mémoire est un geste rare dans l’histoire de l’humanité. Sachons l’apprécier à sa juste valeur.