Nul ne devrait s’y tromper : la parole de M. Juncker est à prendre au sérieux ! D’aucuns prennent un malin plaisir à mêler cette parole d’homme d’Etat au populisme ambiant autour du débat sur la Constitution. Décidément les Européens sont en train de rater le moment historique qui, 60 ans après la fin de la guerre, devait leur donner un nouveau départ, un nouvel élan, et surtout le sentiment que tous ensemble ils sont plus forts.
Même si la construction de l’Union européenne s’est faite au prix de l’abandon de droits souverains, et en dépit des failles des traités en vigueur, pendant 50 ans les gouvernants ont rendu plus tangible le rêve d’une Europe solidaire, unie pour le meilleur et pour le pire.
Déjà la jubilation de ceux qui croient avoir fait échouer le projet de constitution laisse entrevoir le ton de ces politiques d’avenir. Voir des pancartes britanniques dire « Merci à la France », cela devrait nous réveiller. Des alliances contre nature se créent et risquent de jouer de mauvais tours au mode de démocratie représentative. Car l’échec de la Constitution, ce serait aussi l’échec de la démocratie ! Pendant 50 ans les chefs d’Etat ont fait ce qui est leur mission : ils ont gouverné, et gouverner c’est prévoir. Ils ont eu le mandat de leurs électeurs – en alternance des partis politiques au pouvoir – d’organiser notre avenir commun. Le long terme de la politique européenne est difficile à expliquer aux citoyens. Au moment de la prise de décision, cela n’intéresse personne – comme cela n’est fait avec la Constitution – et lors de la transposition des lois européennes en politiques nationales, l’opinion publique découvre ce que leurs mandataires ont décidé et expliqué des années à l’avance.
La Constitution impliquerait davantage les parlements nationaux, pour le plus grand bien des relations entre institutions. Car c’est en fait le mépris à l’égard de la politique européenne qui s’exprime dans la rue, la concrétisation du refus de « Bruxelles » avec ses 36000 fonctionnaires (moins nombreux qu’à la ville de Paris), de la Commission, du Parlement, et du Conseil des ministres. Ce refus met aussi en cause la méthode intergouvernementale, qui consiste à procéder le plus possible par la recherche du consensus – c’est-à-dire dans le respect des problèmes spécifiques de chacun des 25 Etats.
Après le « non » français et néerlandais, après le retrait du référendum britannique, y a-t-il crise, la Constitution peut-elle être considérée comme refusée ? Ce serait montrer peu de respect à l’égard des 220 millions d’Européens qui, par référendum ou par ratification de leur parlement, ont approuvé le texte. A nous Luxembourgeois donc de faire preuve de bon sens et de voter oui pour une texte qui fait l’Europe. Le premier ministre aura la très grande responsabilité de faire preuve de sensibilité et de fermeté pour mener à bonne fin les discussions sur les budgets futurs de l’UE et les procédures à suivre sur le projet de constitution.
Que le vote des Luxembourgeois ne le laisse pas indifférent, c’est bien compréhensible. Si le chef s’en va – qu’en serait-il de son gouvernement ? Et si la logique que le non du peuple veut dire implicitement le refus de la confiance aux gouvernants, un nouveau passage aux urnes pour exprimer la confiance à ceux qui configureront la politique européenne dans le futur – ministres et députés – me semble indispensable.