La directive Bolkestein – d’après le nom du commissaire qui en a assumé la responsabilité avant novembre 2004 – a jusqu’à présent fait couler beaucoup d’encre et les travaux sont loin d’être terminés dans les commissions parlementaires.
Le débat est au fond philosophique et un vrai débat de valeurs. Il y va de l’âme de l’UE. Avec la primauté du commerce et la privatisation des services, l’hégémonie du gain entrave toute aspiration à une Europe plus sociale et plus juste, à une Europe dont le nombre de pauvres devrait diminuer.
Privatiser l’eau potable – ce serait bien la goutte qui fait déborder le vase ! L’eau nous est donnée, elle appartient à chaque citoyen et la mission d’en assumer le captage et la distribution, de prendre soin de sa qualité devrait être de service public. En faire une marchandise, dont le coût serait dépendant des investissements et des profits du fournisseur privé mettrait à sa merci ses clients, c’est-à-dire tous les citoyens. Les disparités du prix de l’eau, même là où la distribution est encore un service public, sont suffisamment éloquentes pour prouver que nous sommes loin de l’égalité des droits des citoyens.
Faire de l’eau matière à concurrence serait du pur machiavélisme dans une Europe qui s’apprête à vouloir être d’ici 2010 l’économie la plus compétitive du monde.
Arrêter le gâchis
Dire que nos gouvernants ont le pouvoir d’arrêter cette marche vers le libéralisme effréné, c’est dire que la présidence luxembourgeoise aura une lourde responsabilité.
La Commission ne semble pas être consciente de l’envergure de cette directive. A ma demande de retirer l’eau du champ d’application de la libéralisation, la réponse des fonctionnaires était que le principe du pays d’origine donnait suffisamment de garanties pour les Etats membres, et qu’aucun Etat n’était contraint à la libéralisation. L’avis du rapporteur de la commission de l’Environnement du Parlement européen conteste précisément cette vue de la Commission en statuant que « la proposition de directive est incompatible non seulement avec les principes de subsidiarité, de proportionnalité et de solidarité, mais aussi avec les dispositions du Traité ». Un bel exemple comment le Moloch de Bruxelles entraîne les gouvernants dans une logique de libre-échange sans égards pour les droits fondamentaux des citoyens.
Vouloir libéraliser l’eau, c’est la négation de la res publica, du soin que l’élu doit prendre au bien de ceux qui lui ont confié la gestion de la chose publique. J’ai peu de respect pour les gouvernants qui ont privatisé l’eau potable – souvent pour de basses raisons financières. Et dire que des instances de contrôle (à créer !) vont garantir la qualité de l’eau distribuée ne répond pas ) la question de savoir qui sera le responsable de la protection des sources et des nappes phréatiques.
Arrêtons donc ce gâchis ! Engageons plutôt l’UE dans une démarche commune de gestion globale de ses ressources.