Lors de mon dernier passage à Budapest nous avons préparé la grande exposition commune sur Sigismond et son Empire, qui de 1368 à 1437 occupait un territoire plus vaste que l’Europe des 27.
L’Histoire commune de nos 2 pays vieille de plusieurs siècles fut retracée grâce aux œuvres d’art, aux écritures anciennes, aux armes et aux bijoux exposés à Budapest et à Luxembourg en 2006. En préparant ce voyage je me suis demandée quel serait le contenu de l’exposition sur l’Europe d’ici un millénaire. Certainement le traité signé il y a 50 ans par les six pays ici représentés en ferait partie. Et il serait mentionné qu’avec ce traité a débuté la plus longue période de paix de toute leur histoire pour les signataires.
Pour comprendre l’histoire de l’UE l’histoire séculaire du continent se lit mieux avec les yeux de ceux qui ont souffert des guerres et des occupations. Ils savent apprécier à sa juste valeur la paix et la sécurité que l’Europe leur garantit. Le 50eme anniversaire du traité de Rome leur est la confirmation que le combat pour la liberté, la tolérance et la justice n’a pas été vain.
Et ce qui s’apparente à une énumération de rapports administratifs, a en fait été la transgression de la haine et des ressentiments pour réussir l’union d’anciens belligérants. La réconciliation franco-allemande après la deuxième guerre mondiale reste un acte unique dans l’histoire.
Le Luxembourg, Etat tampon entre les deux grandes puissances, a souffert de toutes les guerres entre l’Allemagne et la France.
Occupé par l’Autriche, l’Espagne et les Pays-Bas aux siècles précédents il a survécu, indépendant et souverain, comme par miracle.
Son histoire récente est intimement liée à celle de la construction de l’UE.
Bien avant le traité de Rome, le Luxembourg était signataire des traités CECA, et même le lieu de travail de la Haute Autorité de la Communauté européenne du charbon et de l’acier. Avec la déclaration du 9 mai 1950, Robert Schuman a donné le coup d’envoi pour la coopération de l’industrie sidérurgique. Ainsi le traité CECA a été un premier pas vers le transfert de compétences nationales à une autorité supranationale motivé comme suit par Schumann, je cite : « La mise en commun des productions de charbon et d’acier assurera immédiatement l’établissement de bases communes de développement économique, première étape de la Fédération européenne, et changera le destin de ces régions longtemps vouées à la fabrication des armes de guerre dont elles ont été les plus constantes victimes. » Fin de citation.
Sans cette expérience de la collaboration industrielle de l’après-guerre, aurait-on fait le pas vers l’union politique inscrite au Traité de Rome? J’en doute, la hantise de Robert Schuman étant en effet qu’après la reconstruction industrielle de l’après-guerre, de nouveaux conflits armés ne puissent renaître.
Déjà, à l’entre deux guerre, le sidérurgiste Emile Mayrisch, avait crée, dans sa demeure à Colpach, au Luxembourg, un cercle d’intellectuels où se rencontraient l’initiateur du mouvement pan européen Coudenhove Kalergi – citoyen tchécoslovaque de souche autrichienne – des écrivains français et allemands qui promouvaient le rapprochement de l’Allemagne et de la France après la 1er guerre mondiale. Mayrisch était conscient que la fin de cette guerre avait laissé beaucoup de séquelles et que le risque d’un nouvel affrontement subsistait. Son initiative aura laissé une forte empreinte.
Dès son indépendance en 1839, le bilinguisme franco-allemand était déjà pratiqué au Luxembourg, où on savait qu’il fallait s’entendre avec les grands voisins. Et pour s’entendre avec eux, il fallait comprendre leur langue et leur culture. Après la deuxième guerre mondiale, l’essor du luxembourgeois, promu langue nationale en 1984, a renforcé le sentiment d’une identité propre et ceci alors que nous étions membres dès le début de l’UE.
Robert Schuman, le français, né et scolarisé à Luxembourg, savait que la construction de l’Europe serait longue et laborieuse. Il rêvait de l’intégration qu’il décrivait comme suit en 1956 : « Que veut dire le mot intégration? Il veut dire qu’il doit y avoir une autorité qui peut s’exprimer et s’imposer autrement que par un accord unanime. En d’autres termes, il peut y avoir des décisions majoritaires qui sont admises et qui lient la minorité. Dans les démocraties, c’est leur force et leur faiblesse – l’unanimité n’est pas la règle, la pluralité des opinions est le signe extérieur de notre liberté pratique. Il est vrai que l’esprit de conciliation ou la nécessité d’aboutir peuvent favoriser le rapprochement des points de vue et l’acceptation d’une solution transactionnaire ». Fin de citation.
Aujourd’hui 50 ans après la signature du traité de Rome, nous constatons que l’intégration européenne, comme elle a été décrite par R. Schuman, ne s’est pas réalisée telle quelle, et la Fédération européenne non plus. Le vote à l’unanimité est toujours de mise pour beaucoup de domaines, par contre nous pouvons constater que la méthode du « rapprochement et de l’acceptation d’une solution transactionnaire » a permis de faire progresser la construction européenne. Une Europe qui sans l’élargissement à 27 pays aurait été incomplète. La décision a été prise, malgré les hésitations de certains et en dépit des Cassandres qui réclamaient l’approfondissement avant l’élargissement.
Car en politique aussi, certaines décisions se prennent davantage avec le cœur qu’avec la raison. Lorsqu’après l’effondrement du mur de Berlin, la bouffée de liberté allait s’étendre, l’UE aurait-elle pu se fermer à l’appel des nouvelles démocraties de l’Est ? L’histoire de l’Europe s’est distinguée, plus par les guerres et la division que par l’union. L’histoire de l’UE est, elle-même, après 50 ans, la somme de ses échecs et de ses succès mais aussi la convergence de l’histoire des siècles précédents. Les peuples unis sous la bannière étoilée et par le génie de Beethoven, le sont aussi par leur culture.
Davantage même, que par le marché et la production industrielle, ou l’euro.
Le Traité de Rome ne mentionnait aucune compétence pour la culture, il fallait attendre 1977 pour un premier plan d’action culturelle. Et en dépit de quelques timides avancées cette question est restée en marge des grandes décisions européennes. Peut-être, la clé du manque d’enthousiasme pour l’Europe réside-t-elle dans cet oubli de l’essentiel? Parmi les succès de l’UE, il faudra aussi mentionner la signature en commun de la convention de l’UNESCO pour la promotion et la protection de la diversité des expressions culturelles entrée en force le 18 mars dernier. Cette richesse nous distingue d’autres continents, et jette les ponts entre les peuples. L’histoire millénaire de chaque pays crée des préalables qui ne peuvent être ignorés. Une Union consciente de son patrimoine spirituel et moral, rassemble les peuples et justifie leur destin commun. Cette formule retenue dans la charte des droits fondamentaux en exprime tout le programme d’action futur.
Nous ne construirons pas l’Europe sans lui donner une âme ni sans garder l’esprit de solidarité. Et cela veut dire l’esprit du partage des ressources inhérent à la pensée chrétienne de Robert Schumann.