Petit pays, grand orchestre?
Le Luxembourg, petit pays, qui semble se retrancher derrière sa petitesse, au lieu d’afficher la fierté de ses acquis, ce rappel du chef de l’OPL appelle à quelques commentaires! L’histoire du pays et celle de son orchestre semblent bien absents de ses réflexions.
Essayons d’y remédier avec quelques réflexions sommaires…
1995, année de Luxembourg, capitale européenne de la culture, fut aussi l’année de l’aboutissement des négociations sur la reprise de l’orchestre de Radio Luxembourg, dans le cadre de l’abolition du monopole de RTL pour la diffusion radiophonique. L’histoire de ces tractations présente certainement du fil à retordre au chroniqueur, vu les nombreuses facettes économiques, mais aussi culturelles, de l’entreprise qui pendant un demi-siècle avait contribué à la richesse du pays. Le premier poste de radiodiffusion privé en Europe, installé dans notre « petit pays », a émis vers la France, la Grande Bretagne, et même au delà de la frontière de l’Allemagne jusqu’en la Pologne. Encore aujourd’hui on se souvient des premiers disques de jazz diffusés par les ondes de RTL au-delà du rideau de fer…Ingénieuse manière des responsables politiques de l’époque d’avoir cédé les fréquences nationales pour la radiodiffusion en 1930 à une société privée, avec l’obligation d’entretenir un orchestre! C’était bien sûr pour les émissions en direct que la petite formation voyait le jour en 1933 sous la baguette de Henri Pensis.
La période de l’après-guerre faisait de l’orchestre un joyau du poste! Chaque lundi lors de la fameuse « heure musicale », publicité de qualité pour une eau minérale ou des pneus de fabrication française, le concert de la semaine précédente donné à Luxembourg à la Villa Louvigny était diffusé sur les ondes longues en France. Nombre de grands solistes, chefs réputés, compositeurs contemporains appréciaient l’orchestre. Sa reprise en 95 était l’objet de décisions sensibles, d’aucuns voulant en faire un orchestre de « la grande région ». Nul doute que la volonté de garder l’orchestre comme instrument national de culture était un élément d’une politique culturelle d’ensemble à long terme.
Un orchestre, non seulement pour donner des concerts, mais aussi pour cultiver la musique au pays, et en faire un joyau de noblesse pour tous ses habitants. Le regretté David Shallon, premier chef après la reprise, avait fait sienne cette perspective de travail en profondeur, avec le but de mieux identifier l’OPL avec les habitants du pays, faire une « école d’orchestre » pour apprendre aux jeunes talents le métier. Il se serait installé à Luxembourg, voulant faire de l’OPL son projet principal! Il n’aurait pas été un chef « sage femme »,l’orchestre étant bien vivant déjà à l’époque, ni un chef volage, léguant aux remplaçants les concerts au pays hors Philharmonie. David Shallon avait rêvé de réussir la symbiose d’un orchestre et de son pays. Parfois les mots en disent long sur les intentions. Tout orchestre est l’instrument de son chef. Avec n’importe quel autre orchestre du monde les talents d’Emmanuel Krivine se dévoileraient…et vice-versa. Ce que Monsieur Krivine semble ignorer c’est qu’il lui reste un pays à découvrir! Qu’il y a derrière la décision d’il y a quinze ans la volonté d’émancipation des ouvriers et des agriculteurs et de milliers de citoyens qui s’en faisaient une fierté d’avoir leur orchestre. Quant aux musiciens, les artistes « en herbe » se voient trop aisément refoulés par le critère de qualité énoncé par un chef intransigeant, qui a certainement oublié ses propres années d’apprentissage. Cher maître, loin de vouloir critiquer votre compétence de chef, il me semble vous manquer une chose essentielle: l’amour pour ce « petit pays » et ses habitants.