Le dialogue est à l’origine de la civilisation européenne mais ne suffit pas à lui-même. « Nous avons également besoin de liens sociaux plus proches sous forme de « pactes », a déclaré Sir Jonathan Sacks, Grand Rabbin des congrégations juives du Commonwealth britannique, qui s’est adressé aux députés dans le contexte de l’Année européenne du Dialogue interculturel, lors d’une séance solennelle.
C’est avec « un grand honneur et un grand plaisir » que le Président Hans-Gert Pöttering a reçu le Grand Rabbin des congrégations juives unies du Royaume-Uni et du Commonwealth au Parlement, dans le cadre de l’année européenne du dialogue interculturel.
Il a rappelé la venue cette année du Grand Mufti de Syrie et du Patriarche œcuménique de Constantinople Bartholomée 1er, qui ont tenu avant lui un discours dans cette enceinte. « Après ceux de l’islam et de la chrétienté, c’est un représentant de la foi hébraïque qui intervient devant les députés ». Ces religions ont contribué, d’après le président, à la construction de la société européenne, tout comme l’ont fait l’humanisme et les Lumières. Il a rappelé, malgré la forte laïcité en Europe, le rôle primordial des religions par leur contribution claire notamment à l’éducation, « à la formation de nos valeurs et au développement de notre conscience ».
Le Grand rabbin Sacks a souvent exprimé sa crainte du danger de voir revivre l’antisémitisme. Le Président a mentionné la commémoration du 70ème anniversaire de la Nuit de Cristal qui s’est déroulée la semaine dernière avec la participation du Congrès Juif Européen. Il a à ce titre rappelé « le devoir absolu du Parlement de lutter contre toutes les formes de racisme, de xénophobie et d’antisémitisme ».
D’après le Président Pöttering, le Grand rabbin a posé dans son livre « La dignité de la différence », écrit un an après les évènements du 11 septembre, « l’une des questions fondamentales de notre époque » : pouvons-nous vivre ensemble en paix? Si oui, comment?
Le dialogue est à l’origine de la civilisation européenne
« Le dialogue interculturel est une initiative vitale », a souligné d’emblée Sir Jonathan Sacks, en remerciant Hans-Gert Pöttering qu’il a qualifié de président « humain et sage ».
Après une courte bénédiction de l’Assemblée, le Grand rabbin a rappelé que la civilisation européenne est née du dialogue il y a 2000 ans, « lorsque le monde de la Grèce antique et celui de la bible d’Israël étaient réunis par le christianisme ». Il a évoqué ensuite plusieurs « grande moments » de ce dialogue.
Tout d’abord, il a existé à Athènes sur la base de textes sacrés rédigés en grec. La culture andalouse en Espagne du 10ème au 13ème siècle est le fruit de l’islam d’Averroès, du judaïsme et de la pensée chrétienne. Au début de la renaissance italienne, Pic de la Mirandole, auteur de l’oraison sur la dignité de l’homme – considéré par certains comme le manifeste de la Renaissance – a eu un professeur juif, le rabbin Elie ben Moïse Delmedigo. Mais le dialogue judéo-chrétien mené après l’Holocauste, après 200 ans de tragédie, est le plus poignant de tous, a estimé Jonathan Sacks. Il a cité notamment les enseignements du philosophe juif Martin Buber et du Concile Vatican II avec la publication de Nostra Aetate (une déclaration sur la relation de l’Eglise avec les religions non-chrétiennes). Heureusement, a-t-il conclu, « aujourd’hui, les juifs et les chrétiens vivent dans le respect mutuel ».
La bible comme fil conducteur
Comme en témoignent deux passages, la bible enseigne le dialogue, a indiqué ensuite Jonathan Sacks.
L’épisode de la création d’Ich et Icha (Adam et Eve) dans la bible, selon le texte littéral, indique que l’homme doit prononcer le nom de la femme, c’est-à-dire celui de l’autre, avant son propre nom. Il est par conséquent important de reconnaître l’autre pour comprendre sa propre identité.
Un deuxième passage sur Caïn et Abel traduit l’absence de dialogue et « quand les mots s’arrêtent, la violence commence ». Dans toutes relations entre individus ou cultures existent des ambivalences, des points communs et des différences. « Si nous étions totalement différents, nous ne pourrions communiquer mais si nous étions strictement identiques, nous n’aurions rien à nous dire ».
Avant 1933, il existait entre allemands et juifs, comme il a pu exister à un certain moment une entente entre serbes et croates ou entre tutsis et hutus mais « d’autres forces peuvent nous écarter du dialogue ».
Un pacte pour assurer le dialogue
La notion de pacte, qui joue un rôle majeur, est apparue au cours des 16ème et 17ème siècles en Suisse, en Hollande et en Ecosse et fait toujours partie intégrante de la culture américaine, le président Obama, pourrait d’ailleurs s’y référer. Ce n’est pas un contrat de type commercial mais « une union en vue d’atteindre ensemble ce qui ne peut être atteint séparément ». Le pacte appartient à la sphère de la famille ou du monde associatif. Ce pacte ne porte pas sur des intérêts économiques et n’est pas limité dans le temps.
« On peut avoir une société sans Etat mais peut-on avoir un Etat sans société? Sans ciment pour relier les gens entre eux? », s’est interrogé le Grand rabbin. « On peut maintenir les gens par la force ou la crainte. Mais lorsqu’on choisit de respecter l’intégrité de toutes les cultures, alors on a besoin d’un pacte ». Ce pacte implique d’honorer la liberté des autres « si l’on souhaite qu’ils respectent la nôtre » et de mettre l’accent sur les responsabilités, autant que sur les droits car « les droits sans les responsabilités sont les prêts hypothécaires du monde moderne ». « L’Europe a besoin d’un nouveau pacte et elle doit le faire maintenant, en ces temps de crise financière », a-t-il ajouté. Pour illustrer son propos, Jonathan Sacks a utilisé l’image du lion et de l’agneau : « le jour où ils vivront ensemble n’est pas venu. Cela s’est produit sur l’Arche de Noé, non pas parce qu’ils avaient atteint une utopie, mais parce qu’ils savaient que sinon ils allaient se noyer ».
Il a également déclaré aux députés qu’une visite il y a six jours à Auschwitz accompagné de l’archevêque de Canterbury et de représentants d’autres confessions leur avait fait sentir « ce qui se passe quand il n’y a plus de respect mutuel ».
« Dieu nous a donné plusieurs langues mais un seul monde dans lequel vivre », a-t-il ajouté. Et de conclure : « Puissions-nous vivre dans notre diversité glorieuse! »
En réponse à ce discours, le Président Pöttering a conclu : « vous avez parlé de respect mutuel et de la reconnaissance d’autrui. Ce qui nous unit dépasse ce qui nous sépare. C’est le principe de notre engagement européen, fondé sur la dignité de chaque être humain ».