
L’inauguration de la cité judiciaire à Luxembourg sera un événement mémorable. Toutes les institutions seront désormais logées en des lieux dignes, sans exagération pompeuse,ni visibilité opprimante. A comparer avec les palais des capitales de nos voisins la modestie affichée de l’Hôtel de Bourgogne, lieu de travail du Premier Ministre, rime bien avec l’attitude vis-à-vis du pouvoir, que la politique détient grâce au peuple et que par conséquent les lieux en disent long sur l’état d’esprit de leurs occupants. L’histoire récente nous a laissé bien d’exemples éloquents.
Le pouvoir judiciaire a mis quelques décennies avant d’avoir trouvé sa place, pas trop loin du palais grand-ducal, à proximité du parlement et du Premier Ministre, voisin de la cathédrale – ce qui n’a certainement pas été intentionné….
Pour trouver ce lieu, plusieurs gouvernements successifs ont planché avant d’avoir réussi à trancher définitivement si la place du Saint-Esprit devait accueillir la Chambre des députés ou le Musée d’art contemporain. La Justice y est maintenant.
Non pas dans un palais (autre décision épineuse à prendre) mais dans une cité,pour la construction de laquelle a été choisi, par le Ministre des travaux publics de l’époque un Luxembourgeois expatrié, urbaniste renommé, professeur d’architecture, artiste, dessinateur réputé, à notoriété internationale.
Rob Krier, dont le lien avec sa terre natale ne s’est pas effrité en dépit d’une carrière internationale. Ce choix considéré par d’aucuns comme lèse majesté à l’égard des architectes de la place a finalement trouvé l’approbation des parlements et gouvernements successifs.
Décision non déliée de logique, d’ailleurs, pour construire une cité le savoir-faire urbanistique – l’atout de Krier – était certainement son expérience dans les domaines de l’intégration de nouvelles constructions dans les quartiers historiques. Pour en arriver là les tergiversations entre les différentes institutions de l’Etat et de la Ville risquèrent se heurter à l’étiquette de patrimoine classé de l’Unesco de cette partie de la ville.
Fallait-il un avis, ne risquait-on pas se voir retirer le label à cause de cette construction?
Il fallait. Et la discussion conjointe entre experts de part et d’autres et l’architecte donnait feu vert au projet de Rob Krier.
Et si on l’avait laissé faire?
Une véritable cité, destinée aussi à attirer le grand public, avec une tour, plus haute que les tours de la cathédrale (mais moins que celle d’en face du Verlorenkost pour la cogénération du quartier), aurait pu devenir un nouveau point d’attraction.
Entre le projet et son exécution la pièce maîtresse, la vision urbanistique, s’est vu avortée par les règlements des bâtisses, les contraintes financières, les querelles de clochers(!) et le manque de courage à l’ambition. En faire par après le procès à l’architecte n’est certainement pas la meilleure façon de cerner le vrai problème de fond. Car à force de vouloir insérer des situations exceptionnelles, comme le fut l’urbanisation dans cette partie de la ville, dans les carcans usuels de mesurages – des critères esthétiques n’existent pas dans les règlements des bâtisses, car comment en donner une définition capable d’être plaidée en justice? – et la seule grande fierté des Travaux Publics étant que le projet n’ait pas dépassé le devis initial…il reste la frustration du créateur.
Rob Krier aurait mérité mieux. Son ambition d’urbaniste n’a pu s’épanouir pleinement. Après des décennies de discussions, la justice sera enfin relogée. Comme de mise, certains provisoires perdurent. L’occupation de l’actuel palais de justice, jadis résidence des gouverneurs est incertaine, les rues adjacentes seront libérées des bureaux où la justice logeait à la bonne franquette et pourront redevenir des quartiers d’habitation…voire rester des bureaux comme dans tant d’autres endroits de la capitale……