J’ai lu avec intérêt votre article en ligne « Sarkozy à la tribune » en date du 21 octobre 2008, de même que j’ai relu avec intérêt votre article dans Le Jeudi du 23 mai 2006 en réaction à une caricature du Monde.
L’allusion aux emplois que procure le Luxembourg à la Lorraine, que vous évoquez, largement également mise en avant sur les blogs par des travailleurs frontaliers depuis un reportage imbécile de France 2 le 21 octobre dernier (scandaleux sur le fond comme sur la forme car il caricature de manière grossière et partiale le Luxembourg), ne doit pas empêcher de soulever avec sérénité les dysfonctionnements visibles en se référant aux sources publiques et officielles.
Le secret bancaire et les avantages fiscaux ne sont pas un problème en soi, même si ce sont des éléments du paradis fiscal. Tout dépend en revanche de l’usage qui en est fait.
Pour ce qui est du secret bancaire, il n’a rien à voir avec la crise. Ce qui me dérange en revanche, ce sont les propos du député Lucien Thiel. En tant qu’ancien président de l’ABBL pendant plusieurs années, il a en effet déclaré juste après le début de l’affaire du Liechtenstein, engageant toute la place ; « Ce n’est pas notre devoir de contrôler si le contribuable a été honnête » (L’essentiel, 27.02.08). Partagez-vous son avis ?
Pour ce qui est des avantages fiscaux, c’est une fausse question : selon le pays, tout dépend de l’impôt et/ou du profil du contribuable. Pour ce qui est de la France, il existe des zones fonctionnant comme un paradis fiscal sous l’angle de la fiscalité (les zones franches) et le pays a des liens privilégiés avec deux juridictions toujours listées par l’OCDE sur la liste contestée, à savoir Andorre (dont le président français est co-prince) et Monaco dont vous avez parlé dans votre texte du 21 octobre.
Le problème crucial au Luxembourg est en réalité la permissivité, car selon moi un certain laxisme s’est substitué au pragmatisme. Il s’ensuit des mises en causes récurrentes du Luxembourg dans des affaires internationales.
Or, on persiste au Luxembourg à ignorer des risques bien réels qui construisent l’image de « paradis fiscal » et menacent le business des fonds d’investissement au moins de manière collatéral, mais également la réputation des professionnels un minimum sérieux, ce que ne sont pas un certain nombre de personnes devenues expert-comptable sous l’ancienne procédure (après 3 ans passé chez un expert comptable sans test d’aptitude) et à plus forte raison ceux ni experts-comptables ni réviseurs. Ce sont ces personnes qui font les montages à risque (y compris de blanchiment) en lien avec des juridictions à risque (BVI , Seychelles…) sans le moindre contrôle ou avec un contrôle très perfectible pour ceux qui sont expert comptable sous l’ancienne procédure. La question n’est pas nouvelle :
– je rappellerais les propos devant l’ALCOMFI de Jeannot Krecké il y a dix ans de « faire le ménage » dans les métiers de la comptabilité (Luxembourg Finance, N°28, 1998)
– je rappellerai les propos plus récents de l’ancien président de l’OEC dans Paperjam sur le même thème (17 septembre 2004 et 20 mai 2005).
A cela s’ajoute les atermoiements pour mettre en place au Luxembourg une « centrale des bilans » en ligne, les jugements de justice judiciaire en ligne, des moyens informatiques et autres pour les institutions de contrôle au sens large, les recommandations du GRECO et l’OCDE en matière de lutte contre la corruption (y compris la responsabilité pénale des personnes morales), etc.
Je ne saurais croire que ces carences sont dues au manque de moyens financiers du pays, qui trouve bien l’argent nécessaire pour sa promotion (LuxembourgForFinance).
Une chose est certaine dans la remise en cause des paradis fiscaux, à laquelle souscrit le Luxembourg qui ne s’en considère pas un : si des places sont fermées ou boycottées, il va y avoir vase communiquant en faveur des places qui s’affirment clean comme le Luxembourg alors même que des dysfonctionnements y demeurent au nom d’un soi-disant pragmatisme que je qualifie de laxisme. Et cela c’est un gros souci pour le Luxembourg car le risque « d’affaires » mettant en cause le pays va augmenter mécaniquement surtout si les moyens et la volonté de résoudre les dysfonctionnements ne suit pas, car les capitaux sains et moins sains vont converger vers le Luxembourg.
Dans ce contexte, ce qu’écrivait en 2001 Marc Gerges conserve toute son acuité : Le réflexe d’appeler à la solidarité nationale pour préserver la place financière des attaques de l’étranger- rendues possibles finalement par des manquements dans les structures de contrôle locales – ne sert en définitive à pas grand chose si les affaires sont soit couvertes par un silence de plomb, soit réduites de façon superficielles à des rancunes provenant de l’étranger dues à la jalousie de la réussite nationale. Il est certes établi que l’intérêt et les ramifications de la plupart des affaires rebondissant au Luxembourg se trouvent à l’étranger, pour la plupart du temps dans des pays détracteurs. Mais rien que le fait que ce soit régulièrement le Luxembourg qui est choisi pour effectuer des transactions douteuses devrait alerter les responsables politiques au plus haut degré » (Lëtzebuerger Land, 18 mai 2001).
Bien à vous
Jérôme Turquey
http://ethiquedesplaces.blogspirit.com