En Allemagne, la grève sectorielle des conducteurs de locomotives est un bras de fer bien calculé, juste à point, avant la privatisation accomplie. Les caisses syndicales tiendraient encore plusieurs mois, raison de plus d’essayer de s’arranger, ce que les chefs de la Deutsche Bahn AG ont laissé entendre en ce début de semaine.
En France, par contre, les espoirs qui se tourneraient vers le Président de la République se voient déçus! N’avait-il pas annoncé le service de remplacement, la réquisition de forces de travail? Qui l’eût cru que malgré son intempestive volonté de convaincre les français à travailler plus pour gagner plus, les compatriotes se mettent en grève, envers et contre tout, coûtant 300 millions d’euros par jour, alors que le déficit budgétaire cause déjà problème à leur Président!
Et comme s’ils ne pouvaient s’abstenir de joindre les rangs, les cheminots belges se sont mis en grève, pudiquement seulement entre Namur et Bruxelles, car en l’absence de gouvernement, l’effet ne serait pas le même…
Du temps de Mme Thatcher, en Grande Bretagne, les grèves dans le secteur public étaient presque la règle, pour un rien on arrêtait le travail. Après le passage de la dame de fer et une vague – un tsunami plutôt – de privatisations, finis les grèves. Désamorcé le pouvoir des syndicats, démantelé le service publique, quant à la qualité des prestations, en voilà une autre paire de manches. Efficacité, qualité, fiabilité, et service publique – serait-ce une contradiction?
La Commission européenne, ou du moins certains commissaires, se sont fait les chantres de la libéralisation. Côté Parlement européen, il y a plus de réserve à changer des systèmes qui fonctionnent bien. Certains services publics étaient en effet les garants de fiabilité et de continuité. N’y eut-il pas eu quelques bévues, comme le droit de grève inconditionnel et illimité, en dépit de la garantie d’emploi et des conditions par ailleurs favorables. Les régimes spécifiques de pension en France, les salaires en Allemagne, les conditions de travail en Belgique, de pareils enjeux de politique sociale, ne devraient-ils pas être négociés en bonne et due forme entre l’employeur et les travailleurs avant l’éclatement du conflit? L’affront fait aux citoyens qui se voient lésés dans l’accomplissement de leurs tâches quotidiennes, qui en est le responsable?
Les « pouvoirs » publics et négociateurs, ou les syndicats représentatifs? La sympathie pour ceux qui font grève n’est pas illimitée et affiche des courbes selon le degré de grogne qui s’installe. La compréhension pour les conducteurs de train dont les salaires sont jugés trop bas, et l’incompréhension pour les revendications de départ précoce à la retraite représentent une jauge de l’opinion publique. Pour l’économie, le nombre de jours de grève constitue une sérieuse entrave et conditionne le choix d’un site industriel. D’après les statistiques de 2001, la France serait le pays où l’on fait grève le plus souvent avec 1,8 millions de journées par an. Et dire que 1995 affichait 5,8 millions de journées, car c’était l’année où le plan Juppé voulait réformer la sécurité sociale.
Faut-il dès lors s’étonner des faiblesses de l’investissement dans certains pays, alors que d’autres se portent mieux, en dépit – ou à cause – de mécanismes de protection sociale, comme le salaire minimum ou l’indexation des salaires…