Un 1er mai marque les manifestations, discours et défilés usuels, car ce qui commençait en 1886 à Chicago comme combat sanglant pour la journée de 8 heures est devenu tradition. Un événement de haute politique, qui permet aux représentants des travailleurs de s’exprimer librement et en public, de critiquer à volonté les politiques et de tracer le chemin pour les négociations salariales futures, voire les réformes à entamer ou à refuser. Cette liberté de parole est un acquis d’autant plus précieux, qu’elle permet aux grands patrons des syndicats de se libérer de la frustration accumulée au cours d’une année de lutte pour la cause ouvrière et de prendre la revanche sur ministres, patrons et chefs d’entreprise. Revanche verbale non négligeable, et gare à l’homme (ou la femme) politique qui osera passer outre! La paix sociale est en effet une valeur ajoutée aux paramètres fixés pour l’installation d’une entreprise, un atout notable pour la promotion d’un site industriel. Le combat s’est transformé au cours de plus d’un siècle de lutte pour le temps de travail, les congés payés, les conditions de travail et la cogestion. L’égalité homme-femme pour la rémunération n’est pas encore atteinte, d’ailleurs elle n’a pas été un thème phare, quoique une injustice flagrante! Il reste, en dépit d’une amélioration des droits des salariés, des inquiétudes face au chômage, aux délocalisations des entreprises, aux changements de politiques et d’interlocuteurs. Car il n’est plus de l’exclusivité de « la gauche » de s’occuper des changements en faveur des classes sociales modestes. Depuis la New Labour de Tony Blair, le Hartz IV de Gerhard Schroeder les étiquettes gauche-droite se sont estompées, la gauche étant devenue un peu plus libérale, et la droite moins à droite… Discours difficile pour des syndicalistes avertis, qui devraient critiquer la gauche là où elle est au pouvoir!
Clivage dépassé dira-t-on, car l’Union Européenne y mettant du sien pour assurer les lois de la concurrence et sauvegarder tant soit peu le modèle social, le syndicalisme s’élèvera forcément au niveau européen pour empêcher la globalisation de fausser le combat. Le plombier polonais est en effet bien prêt à prendre sa revanche… le débat s’étendra forcément au-delà des relations entre patron et salarié. Et ce ne sera plus un discours sur la sauvegarde des droits acquis, mais bien plus la question du partage équitable des ressources qui amènera le progrès social.
Hélas, ce sera difficile à expliquer que trop d’embonpoint nuit à la santé et que les autres ont aussi droit à leur part de gâteau! Et qui veut faire avancer l’Union Européenne ne pourra pas limiter les revendications à la situation privilégiée d’un territoire dont la frontière a cessé d’exister. Guet-apens pour la solidarité ancrée dans les traîtés, car déjà le discours anti-européen fait croire que le grand coupable est logé à Bruxelles. Charade intelligente d’un grand syndicat européen qui a appelé sa fête du 1er mai « la fête du travail et des cultures », choisissant comme lieu de rencontre une ancienne abbaye, pour exprimer ainsi la perspicacité d’un syndicalisme éclairé… Il n’est que trop rare que le syndicalisme pur et dur s’occupe aussi de culture, de l’accès à la culture pour les travailleurs, de leur sensibilisation à la musique, aux arts et à la diversité des traditions. Changement de paradigme d’autant plus remarquable que les remontrances pour les investissements en équipements culturels étaient de taille!
Clairvoyance préventive: le travail n’est pas une fin en soi, mais une valeur relative dont il faudrait redéfinir le contenu et affirmer la dignité – quel que soit son statut. Affaire de culture – non seulement pour les syndicalistes et les travailleurs, mais aussi pour les patrons!