Erna Hennicot-Schoepges

Un grand ami du Luxembourg a quitté la scène politique: Jacques Chirac a fait ses adieux aux français, mettant fin à une longue présence sur le devant de la scène, avec des hauts et des bas. Ses empreintes, il les a laissées: innovantes parfois, intempestives, l’homme de cœur, qui souvent laissait parler d’abord ses sentiments. Comme il l’a fait en disant aux français qu’il les aimait, à l’heure de son adieu à la politique. Bien sûr que les commentaires ne sont pas unanimes, partagés entre ceux qui près des larmes ont posé la question pourquoi le Président n’avait pas plus souvent parlé au peuple comme il vient de le faire, et ceux qui font le calcul sur l’état de la France avant et après Chirac. L’homme politique réduit au bilan de ses actes? Quel est d’ailleurs l’impact de cette façon de gouverner avec le cœur? Des sentiments peuvent-ils se transformer en résultats, se concrétiser en termes de politique réelle?

Il est évident que pour l’Europe et sa construction, le couple franco-allemand n’aurait pas connu sa notoriété sans Adenauer-de Gaulle et Mitterand-Kohl. Leur volonté de transgresser les conflits des siècles précédents pour donner une chance à la paix et en terminer définitivement avec les séquelles de deux guerres mondiales a rendu possible le traité de Rome et la chute du mur de Berlin. Jacques Chirac a fait amende honorable devant ses confrères européens pour le non des Français au projet de constitution. Et il a avoué qu’il aurait du faire mieux – s’il avait laissé parler son cœur, lors des émissions télévisées avec les jeunes, aurait-ce suffi à les convaincre? Leurs questions attendaient les bonnes réponses, celles qui auraient expliqué le fonctionnement des institutions européennes, mais aussi les compétences nationales, là où les questions visaient l’éducation ou le chômage.

Le non des Français à la Constitution était-il aussi un non à Chirac et à son gouvernement? Pourtant, les sondages avaient prédit des oui à 65% avant le référendum… Critiqué pour ne pas avoir démissionné après, le Président a redressé maint grief contre la France.

Le rôle des algériens dans l’armée française durant la deuxième guerre mondiale a été reconnu, une pension accordée aux survivants. Tard, il est vrai, mais vu qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire… Le grand adieu à l’Afrique au 24e sommet Afrique-France consacre son engagement pour le continent meurtri. Sa plus belle reconnaissance à l’Afrique est la création du musée qui est destiné à accueillir l’art africain à Paris, au quai Branly. Homme de grande culture, Jacques Chirac était un fin connaisseur, ralliant la sensibilité et le flair pour les valeurs artistiques. Collectionneur en ses heures de loisir, il saura de quoi meubler son temps libre!

En Francophonie, Jacques Chirac était le moteur par excellence. C’était à son initiative qu’à Cotonou, au Bénin, le rôle politique de l’organisation a été relancé avec la création du poste de secrétaire général. À le voir discuter avec les hommes politiques africains, ses relations personnelles arrivaient à les arrimer au consensus. Le (la) successeur au Président aura du pain sur la planche pour le remplacer, car en fait, il est irremplaçable. Ne fut-ce que pour le baisemain à Angela Merckel. L’image du tendre apprivoisement du Français à la rencontre de la Chancelière reste celle d’un nouveau couple franco-allemand, complice à nouveau pour faire avancer l’Europe. Le sourire que décroche le baisemain du Président français à la chancelière en dit long. Il a évolué, à comparer les photos des débuts et celles de son dernier Conseil européen. L’histoire qui s’est nouée autour de leurs rencontres, les a rapprochés dans l’intérêt de la paix et de la justice sociale en Europe.

Là, aucun des candidat(e) ne pourra le remplacer. Avec Jacques Chirac, c’est aussi l’élégance du geste et sa tendre reconnaissance, l’hommage rendu à une nation à travers sa première dame qui quitte la scène. Dommage.