Tout comme l’un de ses prédécesseurs, Claude Allègre, Ferry, écrivain avant d’être ministre, a publié un ouvrage sur la fonction de ministre et ses réflexions valent la peine d’être analysées. Non pas pour changer la politique et son système d’accès au pouvoir mais pour réfléchir sur le vécu de quelqu’un qui s’était laissé tenter, par curiosité mais aussi par intérêt pour la cause, par l’expérience ministérielle. Pendant deux ans, il a essayé de réaliser ce qui lui semblait prioritaire, luttant comme tous les ministres de l’éducation au monde contre le manque de moyens, les syndicats, et les lenteurs de l’administration.
Le mammouth – à dégraisser, selon Claude Allègre – s’est opposé à tant de bonnes raisons, et Luc Ferry a comparé lors d’une présentation de son livre ce que d’aucuns considèrent comme le summum, l’apothéose de leur carrière – être ministre – à une partie de rodeo : l’important est de rester en selle, quitte à faire du sur-place. L’analyse fine y va avec plus de subtilité. Comment naviguer entre l’Audimat, les sondages de popularité, l’image que donne la presse, et l’action politique, qui si elle provoque trop de changement fera ternir la meilleure réputation… Il lui aurait fallu encore un peu de temps, quelques mois, pour mener à terme ses réformes… C’est ce qu’ils disent tous, rétorquait l’interviewer de Ferry.
Décidément, quel casse-tête ! Ceux qui veulent changer les choses se font virer, car quel chef de gouvernement voudrait avoir dans ses rangs ces intrépides réformateurs qui ne font que du désordre ? Mais là encore, le cliché n’est pas de mise : en Allemagne, un ministre se maintient allègrement en selle, collé au dos de son cheval par le fait du chancelier et de son propre parti – les Verts – en dépit d’un manquement à sa tâche de contenir l’immigration dans les limites des accords européens. « En cas de doute, le bénéfice en va au demandeur de visa », telle était la consigne approuvée par Joschka Fischer. Quel geste humaniste ! Quelle claque pour les Français et les Italiens qui ont refusé des bateaux chargés d’Albanais, qui ont laissé couler de nombreux Africains, brandissant les accords de Schengen comme argumentaire. Quel cynisme que celui de Schily, ministre de l’Intérieur de l’Allemagne, qui proposait aux Européens la construction de campements en terre africaine pour endiguer les flots de demandeurs d’asile de ce continent meurtri !
Pour bien moins la démission de ministres a été demandée. Reste à voir si Joschka Fischer sera le champion de ce rodeo-ci…