L’adhésion de dix nouveaux membres en mai 2004 a pu être motivée par l’expression de notre Premier ministre que l’histoire rejoint la géographie. La sympathie pour ceux qui ont souffert du communisme après la Seconde Guerre mondiale, le fait de voir d’autres « petits pays » rejoindre l’Union ont créé un climat favorable. Il s’agit pourtant de 70 millions de nouveaux citoyens ! Le sentiment que la Turquie, avec plus de 70 millions, créé des problèmes insurmontables mérite analyse et débat.
L’Union ne s’est pas exprimée sur ses frontières. L’article 1 de la Constitution stipule seulement que « l’Union est ouverte à tous les Etats européens qui respectent ses valeurs et s’engagent à les promouvoir ». L’histoire de la Turquie a toujours été tournée vers l’Europe, mais il est vrai que géographiquement elle enjambe deux continents, l’Europe et l’Asie.
Sa culture est héritière de l’Empire romain, riche d’une empreinte gréco-latine. L’histoire du christianisme remonte aux lieux d’Ephèse, d’Antioche, mentionnés dans les lettres de saint Paul. L’écriture arabe a été remplacée par l’alphabet romain. Les réformes d’Atatürk ont renoncé à la loi religieuse de la Scharia pour adopter un code civil – à mettre en conformité avec les exigences de l’UE. 75% de la population turque sont favorables à l’adhésion à l’UE.
Serions-nous contre un pays uniquement parce qu’il est pauvre et musulman ? Les déficits des connaissances sur l’islam rendent le débat objectif difficile. Certes, un pays de 70 millions d’habitants connaît aussi une diversité d’opinions et d’interprétations du Coran. Les perspectives d’une adhésion à l’UE ont à présent renforcé les courants modernistes. L’Islam s’est répandu dans nos pays sans faire chavirer notre culture de tolérance et de liberté démocratique. Faire débuter les négociations n’entraîne pas du jour au lendemain l’adhésion. L’UE aura l’occasion d’énoncer ses conditions. Ce ne sera pas l’Europe qui devra s’adapter, mais la Turquie. Avons-nous si peu de confiance en nos acquis de culture pluraliste et tolérante ?
Les conséquences d’un refus seraient néfastes pour le développement des droits de l’Homme en Turquie. La Fondation turque des droits de l’Homme a lancé un vibrant appel à l’Europe de ne pas se faire complice d’une régression catastrophique. Les minorités kurde, grecque et arménienne demandent l’adhésion. L’Eglise catholique attend la liberté de pouvoir œuvrer là où était le berceau de son début.
Dès 1949, la Turquie était membre du Conseil de l’Europe, en 1951 elle a rejoint l’OTAN pour renforcer le pilier européen. Membre de l’OSCE et de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, la Turquie est présente dans toutes les grandes organisations internationales en Europe sauf l’Union européenne. Et si la Turquie était un pays catholique ou un pays avec une multitude de religions ? Aurions-nous les mêmes réticences ? L’Europe a bien avancé sur sa lancée d’union économique. Le fait que l’absence du débat culturel se fasse maintenant sentir n’est-il pas la preuve que les citoyens attachent une plus grande importance à l’élément culturel que les gouvernants ?
test